Page 4 - Livre électronique du Congrès National de Pneumologie 2018
P. 4
SI BRAHIM, NOTRE GRAND-PERE A TOUS
Je n’ai de Si Brahim que des souvenirs heureux. J’ai eu l’honneur et la chance
d’être de ses élèves, probablement l’une de ses dernières. En mai 1984, j’ai
découvert l’institut de pneumo-phtisiologie de l’Ariana et Si Brahim. Il était le maître
des lieux, savait tout, s’occupait de tout, gérait tous les soucis, de patients, de
gestion, d’organisation. L’hôpital était une sorte de grande maison, abritant une
grande famille d’infirmiers, de médecins et de patients. Tous se préoccupaient de
tous. L’hôpital était étonnamment propre et calme par rapport aux autres centres,
et la forêt qui l’environnait le protégeait du brouhaha du monde. La salle des
internes abritait un baby-foot, et il me semblait que les médecins habitaient à
l’hôpital. C’était le domaine de Si Brahim.
Un des premiers jours de notre stage, il réunit les internes autour d’une grande
table dans la salle de cours et nous demanda d’interpréter une radiographie de
monsieur ABA qu’il avait gardée de sa consultation du matin. A tour de rôle, le supplice des devinettes jusqu’à mon moment de
lumière, je remarquai ce qu’il fallait voir : c’était une radiographie de femme. De là, l’amitié dont Si Brahim m’a honorée. Nous
étions si fiers dès qu’il nous complimentait, ou juste acquiesçait à nos propositions.
Il nous a répartis. Chakib Kooli et moi avons investi le CCE, sous la houlette du Dr Mokhtar Zaimi. La visite de Si Brahim débutait
à 7h30 (ou 7h00 ?) et nous nous devions d’y être, pour apprendre la médecine bien sûr mais surtout nous imbiber de sa
gentillesse bourrue vis à vis des patients qu’il connaissait un à un, avec qui il discutait de leur origine et des soucis de leur
région. Nous assistions aussi à sa consultation, au cours de laquelle toute son expérience, son analyse synthétique, et les
clichés 7X7, lus en relevant les lunettes noires, se combinaient pour des diagnostics précis, quasi-instantanés, assortis
d’explications simples mais assez péremptoires. Pour tous, les patients et nous, ce qu’il disait ne pouvait être discutable. Nous
avions raison. Un mandarin, non, mais un maître. Au sens le plus respectable, le plus proche aussi.
Il appréciait l’autorité que tous lui accordaient, avait le sourire et ne haussait jamais la voix. Il suffisait d’un mot, pour calmer au
staff la seule personne, esprit rebelle qui contredisait de façon systématique.
A mon retour comme résidente, à ce qui était devenu l’hôpital de pneumo-phtisiologie, il était parti et tout avait commencé à
changer. Heureusement, nous continuions à bénéficier de sa présidence, comme président de séance ou membre de jury de
thèse.
Soucieux de nos retards traditionnels, il m’a demandé plusieurs fois avant que je n’expose de raccourcir ma communication.
Comme un jour, je lui répondis « pourquoi me demandez-vous toujours à moi de raccourcir ? » il me répondit « parce que je
sais que tu en es capable ! ». Je ne sais pourquoi, cela l’a marqué, et à chaque fois que nous rencontrions, il racontait cette
anecdote à ceux qui nous entouraient. Il racontait si bien.
J’ai été immensément fière, le jour où il m’a pour la première fois adressé personnellement un patient, en commençant sa lettre
par chère amie, et la terminant par « merci de ce que vous ferez pour lui ». Cette formule magique, reflétait toute sa modestie,
et l’essentiel de notre vocation, prendre soin du patient. Ce que je garde de lui de plus profond, c’est le dévouement vis à vis
des personnes qui nous accordent leur confiance, le respect que nous leur devons et la considération que nous leur portons
en tant qu’êtres. J’espère continuer à transmettre ses valeurs, en étant digne de dire je suis l’élève de Si Brahim.
Professeur Agnès HAMZAOUI
Présidente de la Société Tunisienne de Pneumologie
2 | Pa g e